De toute évidence, ce n’était pas bien passé. Elia n’exprimait rien d’autres que les mystères de son histoire. Elle sembla être prête à poursuivre mais au lieu de cela, elle déversa une réalité teintée d’horreur. La jeune fille n’avait pas quitté son interlocutrice du regard, comme si elle la défiait de trouver cette version plus fun que la précédente.

Liz sentit sa mâchoire se serrer. Elle n’éprouva ni de dégoût ni de crainte, mais un sentiment plus triste encore. Ainsi elle avait fait partie de cette vie-là. Une des dernières images de sa sœur camée comme jamais lui apparut clairement, les ombres des rues n’avaient épargné personne. Elia devait la détester à présent qu’elle l’avait poussée à tout révéler. Liz hésita mais posa une douce main compatissante sur celle de la jeune outsider.

-Alors, ce chapitre est en partie achevé… Elle récupéra sa main, pour ne pas paraître trop insistante et espéra calmer la tension qui planait.

-Je voulais en savoir plus sur toi, je voulais entendre que je n’étais pas la seule à ne pas tout comprendre… Excuse-moi si je t’ai heurtée. C’était idiot de ma part. À vrai dire que ton passé ait été regrettable ou atroce, on en est au même point. Je te souhaite juste… de trouver de belles choses auxquelles penser pour… Elle désigna d'un signe de tête et en roulant les yeux le cadre froid et aseptisé qui les entourait pour appuyer ses dires. Pour aller mieux malgré tout ça.

L’étrange confession de l’adolescente fit sourire Liz, perdre son temps ? Liz n’avait plus d’attrait en ce monde et était sans doute bien heureuse d’avoir trouvé une personne par laquelle s’oublier. Alors elle réfléchit à cette bien nouvelle conception. Ainsi la fin du monde pouvait-être une chance ? Cela ne l’avait jamais effleuré avant. Si elle avait trouvé un sens dans le fait d’être ainsi arrachée à cette vie, c’est parce qu’elle pensait qu’elle méritait d’avoir mal, méritait de perdre les siens. Pourtant en ce lieu terne, elle avait trouvé un nouvel écho, ainsi Elia tirait du bon de tout cela. Ce serait pour elle une idée à faire germer…

Sans doute son trouble fut perceptible, car la jeune fille garda la main de la cuisinière alors qu’elle avait cherchée à la récupérer ; Les rôles s’étaient inversés en une fraction de seconde. Elle lui offrait son attention, mais Liz ne vit en cela que le moyen de s’éloigner de ses tourments. Alors elle consentit à en dire plus sur elle mais uniquement ce qui aurait mis un peu de baume sur son coeur, une même histoire pouvait bien être maintes fois nuancées.

-Je ne sais pas si je dois tout oublier de qui j’étais. Peut-être qu’on doit seulement se lester de nos fardeaux… Je m’occupais de ma mère depuis longtemps, je pensais lui avoir offert enfin un endroit pour passer ses vieux jours à l’abri des soucis… mais je ne pense pas qu’elle ait pu s’en sortir. J’ai un frère qui est à l’autre bout du pays, je ne lui parlais plus depuis un moment, mais il est dans l’armée, il est fort alors il a peut-être réussi à s’en sortir. Quant à Celia… Elle évita le regard d’Elia, sentant l’émotion pointer. C’est ma petite sœur. Elle était perdue depuis longtemps, si elle s’en est sortie alors.. je lui souhaite de croire comme toi que c’est une occasion de tout changer.

Elle ponctua son discours d’un sourire ému et gêné avant d’essayer de remettre un peu de légèreté à tout ça.

-Tu n’avais peut-être personne pour te tendre la main avant, mais est-ce que tu penses que tu l’aurais saisie ? J’ai tout fait pour aider ma sœur… Mais la drogue a tout dévasté de ce qu’il restait d’elle. Ce sera sans doute un de mes plus grands regret, j’ai baissé les bras quand j’ai compris que je n’arriverais pas à la sortir de tout ça.

Elle serra une dernière fois la main d’Elia avant de se servir à nouveau de quoi s’hydrater. Elle préféra ne pas s’éterniser sur le sujet, finalement ce n’était pas si simple à aborder.

-Tu n’as pas peur de partir en mission extérieure ? Tu as commencé les entraînements ?

Elia s’exprima avec professionnalisme, ainsi elle connaissait le caractère dangereux des missions même si elle n’avait pas encore expérimenté les conditions actuelles. La peur était un paramètre qui n’avait pas véritablement poussé Liz durant sa vie. Des frayeurs elle en avait eues, mais son passé était plus houleux que terrifiant. La violence elle ne l’avait pas connue hormis les quelques situations tendues que pouvaient connaître une femme de son milieu parmi trop de prédateurs sexuels. Heureusement pour elle, Liz fut toujours convenablement accompagnée et elle n’eut pas à vivre de traumatismes de ce calibre.

-As de la gachette alors ? Elle en fut amusée. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme toi. Des gros bras oui, mais pas dissimulés sous des cheveux longs et un joli visage comme le tien. Je resterai dans tes bons papiers alors.

Elle se mit à rire.

-De sorte de pouvoir compter sur toi si les choses se gâtent par ici.

Liz sentit la joie se ternir à cette mention. Après tout il était vrai que tout pouvait changer... et très vite. Elia la complimenta une nouvelle fois de sa cuisine et lui en demanda un peu plus sur son passé. La femme hésita un instant puis sans trop en dire, préféra ne pas cacher la vérité à celle qui lui avait fait confiance. Elia avait vécu des choses rudes, elle ne pouvait pas être étrangère à la réalité de certains milieux.

-Je faisais la cuisine pour ma mère surtout. J’ai appris sur le tas, j’étais la fée de la maison si on peut dire… Je ne faisais rien qui pouvait servir ici… Elle sentit une vague de doutes et presque de gêne alors qu’elle n’avait jamais regretté son parcours. Ça paraît tellement étrange vu d’ici… huum alors, j’ai d’abord été danseuse… dans les boites pour hommes si tu vois ce que je veux dire… Ensuite… huum on m’a proposé de tourner des films… pour ce même type de public. Et je dois dire que j’ai eu une belle vie grâce à ça.

Liz se sentit rougir et grimaça d’un sourire forcé comme pour adoucir ses propos.

-Tu imagines bien qu’ici… j’avais d’autres aspiration que d’être un loisir de chair pour les hommes. J’étais une artiste, pas une… Elle marqua une pause nécessaire. Alors ici j’ai trouvé une autre façon de réconforter les gens. Et puis je n’ai pas tellement le coeur à distraire la galerie. Peut-être que la danse me reviendra, mais j’ai encore trop de choses à digérer.

Liz se mit à rire plus franchement comme pour dissiper vraiment sa gêne et capter la complicité de l’adolescente.

-Tu m’apprendras des trucs pour me défendre si on te montre des techniques pas trop compliquées ?

Liz passait un bon moment. Elia semblait s’imprégner de son calme et elle lui proposa même qu’en échanges de ses bons conseils, Liz lui montre comment se distinguer davantage. La cuisinière en fut particulièrement touchée. C’était un geste de confiance que de demander à une femme de la guider sur la route de sa féminité. Elle avait été un modèle pour sa sœur et ce spectre-là n’était pas assez loin pour la laisser de marbre.

Le temps avait filé et elle s’en aperçut lorsque Elia se dirigea vers la sortie. Levant la tête vers la grande horloge du réfectoire Liz sentit une vague de stress l’envahir. Elle devait passer un coup sur les tables avant de prendre un peu de son temps. Contre toute attente, cette rencontre lui avait apporté un peu de douceur et son estomac la sonna. Voilà près de trois jours qu’elle n’avait rien avalé et il était peut-être temps.

D’avoir évoqué la danse lui fit parvenir quelques bribes mélodiques de ses classes de classique, elle avait été une petite ravissante avec ce tutu rose et ces chaussons satinés. Finalement, elle avait toujours aimé cela, s’abandonner dans la vie murmurée par les sons et l’enchantement. Certes son art avait été focalisé sur un registre plus sensuel mais cela restait une forme d’expression de son être. Liz avait été quelqu’un de sensuel et même de torride. Elle avait aimé qu’on la regarde et qu’on en rêve.

Une fois dans la cuisine, elle attrapa une pomme bien brillante et apprécia sa saveur altérée. Un peu trop acide mais le fruit délivrait tout de même de sa sève et portait quelques souvenirs d’un rayon de soleil perdu au fond d’un verger.