Elle venait d’arriver. Liz avait eu du mal à trouver le chemin de la cuisine surtout que les services étaient stricts.

- Repas de 12h à 13h30 , tu vas réussir à l’intégrer ? Je te veux en cuisine une heure avant donc donc.. ??? qu’est-ce que ça signifie ma mignonne ? 

Le chef n’avait que faire des états d’âme de ses « employés » car après tout, c’était une affectation pas un lieu pour s’épanouir au travail. Liz enfila son tablier sans broncher et passa les dernières minutes à préparer les grands plats qu’elle pourrait distribuer au self. La file se dressa presque immédiatement, les effluves de ragoût ravissaient sans doute ceux qui étaient là depuis un moment mais à vrai dire, passer la journée la dedans, ça avait eu raison de son appétit.

Alors qu’elle était concentrée à servir correctement l’assiette réglementaire, le chef lui désigna une table où une fille patientait. Qu’est-ce qu’elle était censée comprendre ? Mais le grand brun lui ordonna de lui porter une assiette. Liz soupira et laissa sa place à son supérieur. Elle ajusta son tablier, se saisit d’une assiette et d’un fruit et traversa la salle. La jeune femme semblait perdue, Liz lui fit glisser une assiette sous le nez et s’offrit une pause en s’installant devant elle.

-C’est pas service à table ici et si tu te mets pas dans la queue assez vite, t’arriveras trop tard. Mieux vaut arriver au premier round de midi, à treize heure, c’est quasi foutu.

Elle l’observa un instant, compatissante en vue de son minois marqué.

-Je m’appelle Liz, c’est mon troisième jour alors… j’ai pas toutes les astuces non plus.

Elia observait la file d'affamés, hésitante, elle n'avait vraiment pas envie de se mêler à ces fauves.

Son regard s'arrêta sur une femme aux cheveux sombres, toute vêtue de noir. Ce qui semblait être son supérieur paraissait la disputer.

"- Encore un con..."

La jeune fille avait tendance à juger très vite, mais quand on connaît son passif, on peut se dire que c'est important de savoir vite à qui l'on a faire pour sa survie.

Son travail devait être dur, et elle en avait conscience, elle aurait aimé se lever et dire ses quatre vérités au grand brun autoritaire. Mais elle n'avait plus le courage du passé et préférait se faire petite. Après tout sa survie dépendait de ce bunker et peut-être qu'il fallait bien un peu d'autorité pour que les choses ne ressemblent pas à son ancien quartier d'Inglewood.

Elle fût soulagé de voir la cuisinière approcher, lui offrant de quoi se rassasier. Elle la remercia d'un bref sourire, regagnant son attitude de marbre que le temps avait forgé.

"-C’est pas service à table ici et si tu te mets pas dans la queue assez vite, t’arriveras trop tard. Mieux vaut arriver au premier round de midi, à treize heure, c’est quasi foutu"

Auparavant, elle aurait tapé du poings sur la table, s'offusquant qu'on se permette de lui donner des conseils. Mais elle n'était pas chez elle et puis c'était la première personne à lui adresser la parole. Elle hocha lentement la tête en guise de réponse ravalant sa fierté.

"-Je m’appelle Liz, c’est mon troisième jour alors… j’ai pas toutes les astuces non plus."

Elle baissait la tête dans son assiette tandis que la femme se présentait. Regrettant les fast-foods et leurs mal-bouffes.

"- Moi c'est BilanJ..."

Elle secoua la tête vivement, ce surnom était rattaché à tant de mauvaises choses, tant de mauvais souvenirs, des actes horribles.

"- Elia... Elia Edhellen... Je suis ici depuis hier... Merci pour le repas..."

Elle fixais son assiette, sans y toucher.

La voix de la jeune fille était monocorde comme si plus aucune source d’enthousiasme ne pouvait en sortir. Liz se mordit l’intérieur de la joue, contrariée de voir que l’appétit n’était pas non plus au rendez-vous pour la nouvelle recrue. Elle articula son nom en contemplant le ragoût mais se reprit, comme si les flashs du passé lui martelaient de donner une nouvelle identité. Ainsi c’était Elia. Elle ne leva pas davantage la tête, perdue dans ses pensées.

Liz jeta un bref regard en direction du self mais les petites mains s’affairaient très bien sans elle. Aussi, elle se concentra sur la jeune recrue bien qu’elle sentait bien qu’elle n’était pas d’humeur loquace.

-Ça ne vaut pas ce qu’on a pu connaître mais ça a meilleur goût que tu ne le crois… Liz lui rapprocha l’orange pour son dessert. Range là pour plus tard si tu ne la veux pas. Tu pourras toujours l’échanger… contre ce que tu pourras bien trouver.

Liz se tut, laissant le silence s’installer et vibrer au chahut des couverts et des tablées environnantes.

-Le chef m’a dit de t’apporter ton plat parce que tu es outsider c’est ça ? Il connaît tout le monde ici et c’est ceux dont on doit remplir le ventre en premier.

Elle marqua une pause, respectueuse de l’instant et poursuivit sur un ton plus léger, laissant comprendre qu’elle ne lui imposait pas de répondre.

-J’espère que tu t’y feras… Je n’ai pas pris mes marques encore… Mais j’imagine que si tu es outsider, tu as de quoi remonter la pente toi.

La jeune femme leva les yeux sur elle, c’était une enfant. Liz lui offrit un timide sourire, un poil réconfortant, comme celui qu’elle aurait bien voulu croiser à son arrivée. Elle ne devait pas avoir dix-sept ans, l’image de sa sœur cadette lui revint mais quelques battements de cils plus tard, elle était à nouveau loin. La voix de la gamine se fit plus douce mais plus fragile, s’excusant devant son témoignage de bonté. Son visage se ferma de nouveau. Liz ressentit la tension la parcourir avant d’éclore en un premier sourire.

Son aveu était franc. Elle sembla le regretter déjà mais c’était un nouveau monde où les horreurs de la vérité n’avait plus vraiment leur place à l’ombre des secrets. Liz sentit sa poitrine se serrer à son tour, comme si le poids de ses remords avaient envie de l’étouffer. Elie était accablée par son passé, prisonnière de son esprit alors que l’aube de cette nouvelle vie se déclinait sans aucun rayons solaires.

-T’inquiète pas. Si tu es ici c’est que tu as ta place. J’ai pas encore assez de recul … Sur tout ça… mais c’est bien la première chose qu’on rabâche. Les choses ont changé… Faut espérer qu’il y ait un peu de bon dans tout ça… comme faire table rase du passé. J’essaye de croire que tous mes échecs aussi ont été balayés. Ce serait con que seule ma garde-robe ait dégusté.

Liz laissa échapper un petit rire, le premier depuis qu’elle avait foulé les souterrains.

-T’es une courageuse Miss Elie et j’ai bien besoin qu’on éloigne la vermine de moi. Alors, mange un peu de ce ragoût pour leur viser dans la tête… Pof Pof mima-t-elle du bout du canon improvisé de ses doigts. Parce que si j’arrive pas à faire reconnaître ma cuisine, on ne me trouvera pas d’autres affectations à moi.

Le prétexte était à demi voilé. Quand bien même elle manquait d’appétit, Elie serait peut-être tentée de faire plaisir à une femme qui cherchait encore à prendre soin de la petite sœur qu’elle avait abandonnée.

Elia se sentait bien en sa présence, quelque chose de rassurant émanait de cette femme, peut-être la raison pour laquelle sa langue s'était tant délier.

"-T’inquiète pas. Si tu es ici c’est que tu as ta place. J’ai pas encore assez de recul … Sur tout ça… mais c’est bien la première chose qu’on rabâche. Les choses ont changé… Faut espérer qu’il y ait un peu de bon dans tout ça… comme faire table rase du passé. J’essaye de croire que tous mes échecs aussi ont été balayés. Ce serait con que seule ma garde-robe ait dégusté."

Elia échappa un rire rapide, souriant largement désormais. Qu'importe le passé ou le futur, Elle voulait profitait de l'instant présent. Depuis quand n'avait-elle pas rit ? Depuis la mort de son frère peut-être, quand elle pris enfin sa vengeance. Elle avait rit de bon coeur ce jour-là, se tordant la gorge, un rire sinistre, macabre. Mais cette fois-ci c'était différent, pas de pensée négative, juste le bonheur de se sentir appréciée.

Une forte envie l'envahissait désormais, un besoin, quelque chose qu'elle n'a connu qu'en tant que témoin, de la tendresse. Son âme d'enfant remontait à la surface, elle aurait voulu lui sauter dans les bras, l'enlacer fort rien qu'un instant, savoir ce que cela pouvait lui faire ressentir. Sa fierté l'en empêchait, elle dissipa vite l'idée de son esprit.

"-T’es une courageuse Miss Elie et j’ai bien besoin qu’on éloigne la vermine de moi. Alors, mange un peu de ce ragoût pour leur viser dans la tête… Pof Pof. Parce que si j’arrive pas à faire reconnaître ma cuisine, on ne me trouvera pas d’autres affectations à moi."

Elle rougissait, chose exceptionnelle, et pour cause ! Quelqu'un la poussait à aller de l'avant, elle se senti revivre, silencieuse, l'observant tendrement. Ce fléau était vraiment une chance pour elle, elle en était certaine. Il aura fallu un grand désastre pour qu'elle découvre ce sentiment de bien-être, cette sensation de bonheur. A cette instant, elle se promit de tout faire pour retrouver cette joie tout les jours, qu'elle qu'en soit le prix.

C'est avec un grand appétit qu'elle rapprocha son assiette pour l'attaquer sauvagement, affamée depuis quelques jours.

"- Ch'est trop bon ! T'as raison, je vais tout faire pour que tu puiche continuer à nous faire d'auchi bon ragoût !"

Parlant la bouche pleine, elle ne mit que quelques minutes à engloutir son assiette, la léchant goulûment, puis lui tendant.

"- Encore ! Euh... S'il te plaît !"

Elia laissa résonner son rire, à l’unisson de celui de Liz. Ses yeux se teintaient d’éclat de vie, aux antipodes du visage morne qu’elle portait en arrivant ici. Liz s’installa au fond de sa chaise, appréciant de voir un peu d’innocence en ces lieux. Il n’y avait que les jeunes gens qui étaient capables de changer d’humeur si rapidement et en cela, la cuisinière s’en accorda le mérite. Elle finirait peut-être par trouver une raison à tout ça…

La fourchette de la gamine attaqua le ragoût avec fureur et bientôt, le crissement du métal sur la porcelaine assurait un estomac bien rempli. Son visage avait repris un peu de couleur et ses joues marquaient à présent de légères fossettes qui ne semblaient plus être apparues depuis longtemps. Liz leva les sourcils, surprise par l’engouement pour sa cuisine mais grimaça un tantinet gênée devant la gamelle vide.

-Hum...Elle baissa le ton et se pencha vers le centre de la table pour l’attirer vers sa confidence. C’est une seule assiette par personne.. mais… je vais voir ce que je peux faire. Elle se redressa comme si de rien n’était.

-Est-ce que je peux te demander d’où tu viens ou est-ce que… tu préfères oublier l’avant ? La femme était curieuse mais préférait marcher sur des œufs pour ne pas brusquer la jeune fille. Je comprendrais… J’avoue que je ne sais pas trop quoi faire de ce passé… s’il est révolu, si on est encore de cette personne qu’on a été ou si on doit juste faire avec le présent…je veux dire sans faire de lien avec ce qu’on a pu vivre avant…

-Harvey ! T’as cru que t’étais en thalasso ?!

La voix du chef porta loin dans la salle mais Liz fit mine de ne rien entendre avant de lui adresser un regard glacial du coin de l’œil, exprimant son désintérêt profond pour l’estime de son patron à son égard. Elle attendit qu’il remplisse encore quelques assiettes avant de lui faire signe de la main qu’elle arrivait. La cuisinière retrouva son air détendu en levant les yeux au ciel avant de sourire à sa nouvelle camarade.

-Avec un peu de chance, il est allergique à quelque chose… J’essayerai un ingrédient secret à chaque repas… Ponctua-t-elle d’un petit rire moqueur. Elle se redressa pour faire mine de s’activer et pencha la tête vers Elia.

-Le service finit dans quarante minutes environ, je dois terminer là-bas et je te rapporterai une portion de rab, ça te va ?

Elle guetta la réponse de la demoiselle et prit place aux côtés de son supérieur, pour reprendre la distribution.

Le service touchait à sa fin. Le chef félicita la nouvelle recrue pour son travail bien qui lui conseilla de rester attentive tout au long du service.

-Ce n’est pas qu’un poste de cantine. La nourriture c’est une bénédiction ici, on leur donne du réconfort tu sais. Liz avait écouté patiemment son laïus sans le contredire en rien.

Après tout, peut-être que d’ici quelques jours elle arriverait à modeler son esprit en ce sens, qu’elle servait à quelque chose ou mieux encore, qu’elle était importante à d’autres. Mais pour l’heure, elle n’avait pas encore accepté que le monde et son monde se soit ainsi effondré. Est-ce que c’était si simple pour tous les autres ? Est-ce qu’elle était la seule avoir du mal à entrer dans la peau d’une femme satisfaite de vivre dans cette ruine absolue ?

Ses collègues apprécièrent son ragoût et elle les salua brièvement avant de s’éloigner avec son assiette pour rejoindre la jeune outsider. Elia était avachie sur la table, sans doute épuisée par tout ce qu’elle avait traversée. Liz hésita un instant et se racla la gorge pour prévenir de sa présence. La jeune fille devait être endormie alors elle s’installa en face d’elle en butant légèrement contre la table, espérant que les secousses l’éveillent.

Lorsqu’elle croisa de nouveaux le regard d’Elia, elle lui fit glisser son assiette encore fumante.

-Alors.. tu ne m’as pas dit grand-chose sur toi… On peut aussi s’inventer d’anciennes vies qu’on aurait aimées avoir tiens ! Je te laisse décider et commencer.

Elle saisit le pichet d’eau et se servit un grand verre avant de remplir celui de la petite brunette.

Encore perdue dans ses rêves Elia prit un peu de temps avant de manger. Liz l’observa sans broncher, au moins son assiette servait à quelqu’un qui en avait envie. Son estomac était trop serré pour avaler quoi que ce soit d’autre que son café matinale et le morceau de sucre qui l’avait tenue alerte jusqu’à treize heure trente.

L’adolescente admit d’un signe de tête que sa proposition l’intéressait, mais il était difficile de comprendre le poids de ses secrets. Elia était de nouveau éteinte alors que Liz avait cru lui apporter un peu de réconfort *Tout est éphémère ici* pensa-t-elle et il était bien utopique de croire qu’elle pourrait améliorer les choses pour quiconque ou pour elle-même.

Le récit fut concis et simple. D’une simplicité déconcertante et énoncé avec une profonde apathie. Liz ne sut quoi répondre dans un premier temps, préférant laisser le silence exprimer son étrange sentiment. Cette vie était donc ce qu’elle aurait imaginée, est-ce qu’elle devait comprendre son exact opposé ou simplement la nuancer partiellement. La femme passa furtivement sa langue sur ses lèvres de sorte à apprécier davantage ses doutes avant de les déballer sur la table.

Coincée entre le dépit et l’humour, Liz s’autorisa un commentaire.

-C’est tout a fait trépidant en effet. Plutôt mathématiques ou littérature? Elle se retint de rire au cas où sa comparse l’aurait mal pris.

Elle but une nouvelle gorgée de cette eau à l’arrière-goût de chlore et se permit dans un registre plus sérieux.

-Tu n’as aucune nouvelle de ta famille alors ? Tu les espères recroqueviller dans un bunker comme le nôtre ou partis pour l’autre monde ?