Aujourd'hui était un jour comme le premier. Aujourd'hui, Tamara se préparait pour sa deuxième sortie à l'extérieur depuis son arrivée dans le bunker A. Contrairement à la dernière fois cependant, la jeune femme ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine fébrilité. Lors de sa première sortie avec l'escouade Hotel, Tam s'était sentie préparée, confiante même ! Et pourtant, elle ressentait encore toutes ces émotions fortes que lui avaient données les épreuves rencontrées lors de la mission 21.3. Dos contre le mur de son compartiment, pensive et les bras croisés, le regard de la leader vint se poser sur le messager ronflant, Anarchangel. Elle ne put s'empêcher de sourire alors qu'une pensée lui traversa l'esprit.

Au moins, lui ne sera pas là pour me causer du fil à retordre...

Il était encore très tôt, peut-être cinq heure du matin, mais Tamara étant du genre maniaque de la préparation, elle était ce qu'on pourrait appeler une lève-tôt. Elle partit s'entraîner pour réveiller son corps et réchauffer ses muscles avant de revenir prendre une douche et se vêtir. Elle opta pour ses vêtements de l'armée qu'un survivant du bunker lui avait légué lorsqu'elle fut promut leader, croyant qu'ils leurs seraient plus utiles à elle qu'à lui. Un tank blanc classique, des pantalons camouflage résistants et de solides bottes de combat, le tout quelque peu usé mais à sa taille. La blonde compléta son apparence en attachant son habituelle tresse sur le côté, puis partit réveiller son escouade et annoncer son départ, leur expliquant le plan et rappelant le niveau de danger.

Ramasser tout ce que tu vois ayant une potentielle valeur, ça s'est déjà fait. Encore plus depuis l'arrivée de l'apocalypse, à la différence qu'un animal assoiffé de sang ou un bandit asthmatique risque de te sauter à la gorge à la seconde où tu t'abaisse pour cueillir une fleur... Tout ça sans parler de la météo !

Oui, Tamara misait tout sur la préparation. C'est pourquoi, après avoir assuré à l'escouade Hotel qu'il était inutile de s'en faire pour elle puisque - vous l'aurez deviné- elle était prête, la jeune femme se rendit de nouveau à la salle d'entraînement afin d'aider à déposer tout le matériel nécessaire à la bonne réussite de la mission sur des tables mobiles. L'heure du meeting approchait. Tam se prit d'avance et enfila l'une des tenues spéciales présentes sur les tables, ne laissant que sa tête découverte (essayez de parler en face d'un groupe avec un masque en étant crédible), gardant son masque sous le bras et son sac-à-dos prêt à partir faire une randonnée dehors reposait à ses pieds.

C'est dans cette position que Tamara accueillit d'un hochement de tête sérieux chacun des membres de l'équipe qu'elle commencera.

Maintenant que tout le monde était là, Tamara prit cinq minutes pour laisser les membres de l’équipe se réveiller avec cette bonne vieille caféine, surtout pour les analyser l’un à la suite de l’autre et se remémoré les dossiers qu’on lui avait accordé de lire en vue de la mission. Un moyen pour la blonde de se préparer. Il serait idiot de sortir dehors, dans ce champ de bataille où les forces de la nature tente d’exterminer toute vie sur terre (et franchement, y arrive très bien) sans même connaître les points forts et faibles de ses alliés, vous serez d’accord. Les yeux féroces de l’allemande se vissèrent donc sur sa première cible.

 
Amy Quinn Draper. Leader de l’escouade Bravo, médecin énergique, cette jeune femme méritait le respect le plus doux. Ayant grandi en campagne aux Amériques, elle aurait perdu sa sœur à un jeune âge ainsi que sa mère quelques années plus tard aux suites d’une leucémie. Ah, cette excellente ironie de la vie, que de perdre ses proches après quelconque complication pulmonaire, Tamara la connaissait bien. Elle retint ses lèvres de s’étirer en un sourire triste, tellement cette blague ravivait un torrent d’émotions contraires. Cependant, là n’était pas le temps de se remémorer tous ces souvenirs, source de cauchemars quotidiens. Ce que Tamara retenait de cela, c’était qu’Amy était quelqu’un d’autonome, capable de prendre soin de soi-même, comme elle l’aurait toujours fait, alors que son père aurait été absent, apparemment. Le dossier d’Amy parle d’une lourde dépression dont elle se serait guérie quelques années plus tôt. Son état mental était considéré comme stable. Le verdict de la leader assaut : Responsable, admirable, intelligente et fragile, frêle, seule.

La blonde hocha machinalement la tête, prête à passer à l’évaluation de sa seconde cible.

Eleonor Edvardsen, la norvégienne, aussi médecin. Même après avoir lu tout ce qui lui était permis de lire sur elle, Tamara était encore incertaine de tout connaître d’elle. Premièrement, l’origine de l’ignoble balafre qui lui déformait la joue lui était inconnue. Après, il était facile d’en deviner la provenance, lorsqu’on lit les premières lignes racontant son passé digne des films les plus tristes. Devenue orpheline très vite, la seule chose que ses parents auront eu le temps de lui léguer est la crise. Il faut dire que les enseignements d’une mère visiblement brisée et d’un père décrit comme étant voyou, il est carrément normal, même logique que la jeune femme soit instable. Instable dans le sens que, selon le jugement de Tamara à force de l’observer, la norvégienne chercherait toujours à découvrir qui elle est. Si la blonde écoutait sa philosophie, elle décrirait « Leo » comme étant une personne pleine de contradictions, alors qu’elle peut se réveiller heureuse comme Blanche-Neige un bon matin, être amicale et s’amuser puis immédiatement chuter vers un comportement qui lui serai instinctif, celui d’une louve solitaire se battant pour survivre dans un monde de glace complètement dépourvu de vie… Mais, ça, pour le remarquer, pas besoin de philosophie profonde ! Une battante comme elle, c’est rarement des médecins. Son jugement : Autonome, forte, débrouillarde et froide, dure, solitaire.

Le regard de l’allemande vint se poser sur le propriétaire d’un dossier assez ressemblant de celui d’Eleonor.

Flynn Payne partageait plusieurs points communs avec le médecin aux cheveux blancs. Orphelin, dur à cuir, un survivant avant même le début de l’apocalypse. Son dossier était anormalement léger, comme la disparition de ses parents reste encore aujourd’hui et à jamais inexpliquée, qu’il n’aurait passé que très peu de temps avec son grand-père avant de disparaître dans les ombres de la rue. Aucun refuge ne comptait son nom parmi sa liste de pensionnaires, laissant penser que sa première fugue resta la dernière. S’il volait, la police ne l’aurait jamais attrapé. Tamara était quelque peu inconfortable avec ce manque d’informations, mais s’en contentait. Son comportement en disait suffisamment. Reconnu comme étant une bombe à la mèche courte, son tempérament violent était suffisant à le jeter hors du Bunker A. Cependant, le voilà, prêt à participer à une mission d’importance capitale, jugé capable d’assurer la survie de tous. Flynn n’était pas ici pour rien et ne tenait pas son titre de survivant sans raison valable. La leader espérait seulement qu’il écoute ses ordres en portant la même confiance qu’elle lui donnait malgré tout. Ses impressions : Indépendant, sérieux, courageux et impulsif, mystérieux, indomptable.

Suite à cet analyse rapide, la jeune femme tourna la tête vers un homme qui attire les regards par sa seule présence, surtout par son apparence qui vaut l’admiration, limite jalousie, de Tam.

Nikolaï Raxx, un autre orphelin, cette fois originaire de Russie, Moscou. Si vous trouvez que ça fait beaucoup d’orphelin, attendez de voir les statistiques lorsque l’apocalypse vous tombera dessus. Raxx, c’est un dur, un vrai. Malgré sa position d’aurorité, Tamara ne pouvait s’empêcher d’observer ce géant. Il est légèrement plus petit que Flynn, certes, mais Flynn ne possède pas ces muscles que l’armée peut vous forger. Raxx était un hacker pour l’armée Russe, le meilleur de son unité. Cela va sans surprise lorsque l’on connait la valeur de son quotient intellectuel. On sait aussi que, durant son séjour à l’orphelinat et après avoir fait son deuil, Nikolaï était un chenapan ayant rapidement gagné le titre de roi de la jungle grâce à ses prouesses informatiques. Vraiment, Raxx était quelqu’un qui imposait le respect… Si seulement il avait la tête qui venait avec. Pas besoin de lire son dossier pour le savoir ; tout le monde le dit : Nikolaï est un homme prétentieux. Son égo est aussi grand que son QI, si ce n’est plus. De cela, Tamara devait s’en méfier. Il représentait un risque encore plus grand que Flynn lorsqu’il en vient à écouter les ordres sans broncher. Résultat, Raxx serait endurant, futé, puissant et entêté, hautain, insolent.

Ne restait plus qu’à dévisager le dernier membre de l’équipe. Encore un individu qui vaut le coup d’œil !

Ashly Nysltroom, une américaine elle aussi élevée en campagne. Le seul détail qui la dépare des autres est qu’elle partage son histoire avec une autre jeune fille, sa sœur, presque fille. Si sa fonction de cuisinière laisse penser qu’elle ne vaut rien avec une arme, attendez de la voir couper vos légumes ! Tel qu’écrit dans son dossier, Ashly a appris très jeune ce qu’un adulte apprend lorsqu’il fonde une famille. Forcée de devenir la mère de sa sœur, la cuisinière aura traversé toutes sortes de milieux peu recommandables, l’ayant formé à tuer pour garantir la survie de sa sœur et la sienne. Tamara comprenait très bien la position d’Ashly, constamment à la recherche de force dans le seul but de protéger autrui. Le fait que « Lou » colle avec « Ash » pince cependant le cœur de l’allemande, incapable d’ignorer cette terrible jalousie qui se mêle aussi avec de la haine. Tamara voyait en Ashly tous ses rêves perdus et en Lou, ses espoirs qui la hantent la nuit. Bien qu’elle refoulât autant que possible ces sentiments, Tam ne pouvait que croiser les doigts en espérant que ses propres sentiments ne prennent pas le dessus lors de la mission. Tout comme elle, Ashly était forte, brave, déterminée et protectrice, fermée, coupable.

Que voilà une bande d’incapables pour compléter une mission d’une si grande importance ! À ce stade, il était encore surprenant que le Bunker tienne encore debout. L’instinct de survie devrait avoir pris le dessus il y a longtemps, laissant chaque individu sombrer dans l’égoïsme. Comment est-ce qu’une bande de survivants allaient bien pouvoir unir leurs forces et mettre de côté leur propre survie pour assurer celle d’une petite centaine ? Il était du devoir de Tamara de trouver la réponse à cette question. Peut-être en commençant avec un peu de sérieux, en rappelant à tous ces cerveaux endormis la peur de la mort et l’imminence de la catastrophe ? Et pourquoi pas ajouter à cela un ton fort et une voix autoritaire, digne de l’armée ? C’est un bon début.


Tamara se racla la gorge et se lança.

J’espère que vous savourez bien vos bouchées de croissant et vos gorgées de café parce que si vous ne vous mettez pas en ligne devant moins avec vos trous d’oreilles aussi grands que possible d’ici les cinq prochaines secondes, c’est la famine et l’épidémie que vous vous mangerez en pleine figure.

Elle patienta le temps que son décompte intimé ne s’écoule, puis, satisfaite de voir que le coup de la crainte avait fonctionné et de voir tout le monde en place et à l’écoute, passa aux choses sérieuses.

Si vous croyez que l’apocalypse vous a déjà tout arraché, vous feriez bien d’ouvrir les yeux et de regarder autour de vous, parce qu’elle est loin d’avoir terminé. Le Bunker est dans le rouge. Les ressources baissent à vue d’œil et ne remontent pas. Il revient donc à nous de faire grimper les chiffres en sortant dehors et en ramassant absolument tout ce que vous pouvez fourrer dans vos poches. Armez-vous de l’équipement le plus léger possible avec lequel vous êtes le plus à l’aise en vous donnant la plus grande liberté de mouvement dont vous êtes capable. Ne remplissez vos sacs et vos poches que de ressources que vous jugez utiles pour la survie des habitants du Bunker A. Ne pensez surtout pas à garder le moindre caillou qui brille joliment pour vous, sinon je vous le fais gober à travers votre masque. Me suis-je bien fait comprendre ?

Tamara observa les réactions faciales de tous et chacun en plongeant son regard le plus froncé dans toutes les paires d’yeux présentes. Peut-être qu’elle n’avait pas l’air très agréable, mais c’était nécessaire. Il était impératif d’instaurer un sentiment d’urgence dans les tripes de tous les membres de l’équipe ; c’était le seul moyen auquel Tamara pouvait penser afin de s’assurer de la bonne coopération de tous. On verra bien si c’était une bonne idée. Sans laisser le temps aux autres de répondre à sa question, la leader gonfla ses poumons, adoptant une expression moins sévère et plus calme avant de continuer sans toutefois baisser le ton.

Pour certains d’entre vous, aujourd’hui est la première fois que vous mettez le nez dehors depuis votre admission au Bunker A. Les vétérans ici présents vous le confirmeront : n’allez pas vous imaginer que le soleil brille et les oiseaux chantent. La mort vous attendra à chaque pas que vous ferez hors de ces murs. Je suis là pour m’assurer qu’elle ne vous attrape pas. Écoutez chacun de mes ordres à la lettre et sans douter. Je vous ramènerai à la maison avec un cœur battant, j’en fais mon devoir. Maintenant écoutez bien, car je ne répèterai pas : Nous n’appliquerons aucune formation de marche, là-dehors. Votre seule contrainte est de rester là où je peux vous voir et de garder les oreilles aussi ouvertes qu’en ce moment ! Nous n’avons aucune destination précise à atteindre, de toute façon vous serez trop occupé à ramasser tout ce que vous trouverez pour avancer bien loin. Restez groupé, n’utilisez votre arme que lorsque vous aurez confirmé qu’un réel danger approche et seulement après m’avoir clairement indiqué vos intentions et obtenu mon accord ! Elle marqua une courte pose afin de laisser l’information s’enregistrer. Si vous avez des questions, posez-les maintenant. Sinon, enfilez votre équipement et revenez prendre place devant moi une fois prêts.

Tamara prit quelques secondes de réflexion pour bien déterminer les plus et malus de la suggestion que Quinn venait de faire. Si l’équipe trouvait plus confortable de savoir où elle s’en va là-dehors, c’était totalement compréhensible. L’allemande était encore nouvelle et inexpérimentée dans son métier de meneuse et de survivante. Elle serra les poings, frustrée de ne pas avoir pensé plus tôt à cette idée. De l’essence sans bidons, c’était pourtant si évident ! Elle parvint cependant à cacher sa frustration derrière une expression sérieuse, puis prit la parole à nouveau.
 
Bien, nous marcherons en direction du Manfield Stockage mais n’attendez surtout pas d’y être pour vous mettre à chercher. Nous ne sommes pas les premiers à utiliser ce chemin et un tas de ressources ont déjà été cueillies. Cherchez dans les endroits où personne ne prendrait le temps de fouiller. Je consens que cela représente une longue marche, mais il va sans dire que c'est là-bas que nous avons le plus de chances de trouver un grand nombre de ressources précieuses. Restez constamment sur vos gardes ; vous connaissez les risques de la mission. En ce qui concerne les bidons, il va de soi que vous en apportiez au minimum un avec vous. Toutefois, ne vous surchargez pas. Autre chose ?

Tamara examina un instant les marques de crayon qu’avait fait Flynn sur une carte, le temps de bien assimiler ses propos. Elle fronça les sourcils, déçue d’avoir à se répéter une seconde fois, sans non plus prendre un ton de reproche.

Payne, je vais te demander de me regarder droit dans les yeux pour ce que j’ai à dire. Elle marqua une courte pause, le temps de laisser le jeune homme s’exécuter, puis continua en s’assurant de monter le ton de sa voix aux points les plus importants de son discours. Je ne me suis peut-être pas faite assez claire. D’abord, sous aucun prétexte tu ne quitteras mon champ de vision. Ensuite, nous restons tous groupé. Toujours. Cependant…

La leader brisa le contact visuel avec Flynn, espérant secrètement ne pas avoir été trop… Sèche. Elle jeta un nouveau coup d’œil sur la carte en hochant doucement la tête, comme le ferait un peintre en train de réfléchir devant une œuvre, satisfait de ce qu’il observait. Elle reprit la parole, cette fois en s’adressant à tout le monde et en promenant son regard entre chacun des visages de ses coéquipiers.

Il est vrai qu’un quelconque danger peut nous séparer. Je suis consciente qu’il est impossible de prévoir tout éventualité. Qui sait, peut-être que l’un de vous perdra tout contact avec le reste de l’équipe après avoir été séparé par… Une inondation soudaine ? Si cela arrive, rejoignez le dernier emplacement connu où nous étions tous réunis. Nous y attendrons pendant un maximum d’une heure. Dans tous les cas, peu importe les imprévus, je vous ordonne de me faire confiance. Je ne tiens pas ma position de leader simplement parce que le poste était libre. Obéissez mes commandes, même sous attaque, et vous vous en tirerez vivant. Merci, Payne.