Le pas lent, Elliot avait le regard vide, happé par les images qui le hantaient. Les images d'un accouchement. Après tout ce qu'il avait vu à l'extérieur, il n'aurait jamais deviné assister à un spectacle aussi traumatisant. La naissance d'un enfant après la fin du monde avait été accueillie avec des larmes de joie et des rires de soulagement, mais Elliot, lui, n'avait pas pu retenir son déjeuner dans son estomac. L'âme pure et innocente du jeune homme avait été souillée. Des pensées morbides l'occupaient à présent que le besoin de se vider autrement lui était passé. Comment ces gens pouvaient sourire à cet enfant alors qu'il ne pourrait pas voir la lumière du jour avant ses quinze ans, qu'il ne connaîtrait jamais le plaisir de manger un McDo' – pas qu'il appréciait particulièrement la mal-bouffe, mais il avouait que ça manquait dans le coin –, les seuls animaux qu'il verrait seraient dans son assiette après avoir croupi dans une boîte de conserve pendant des années, il ne pourrait jamais jouer à Call of Duty ou encore brancher une nana un peu mignonne en boîte. Toutes ces choses de la vie. L'essentiel d'une vie. Lui briser la nuque aurait peut-être été moins douloureux que l'avenir qui l'attendait. Comment une chose aussi misérable se retrouvait en haut de chaîne alimentaire ? Dès que le cordon avait été coupé, les médecins-chercheurs du bunker l'avait emmené, certainement pour vérifier que tout allait bien. Aucune oreille poussée dans le dos ou de troisième œil, mais rien ne garantissait que la contamination n'avait pas atteint le fœtus lorsque sa mère courait pour leur vie là-haut. Et s'il développait des pouvoirs comme les X-Men ?

Ces questions sans importance furent écrasées par la délicieuse odeur d'une bouillie-non-identifiée lâchée à la louche dans les plateaux qui défilaient aux mains des survivants. C'était au réfectoire qu'Elliot prenait le plus conscience de la population du bunker A, quelques un millier de bouches à nourrir grâce au réapprovisionnement par les missions à l'extérieur et au rationnement mené avec succès jusqu'à présent. Voilà une semaine qu'il était un membre de cette communauté et n'avait pas vu le soleil. Et bien que la vie ici-bas semblait plus calme, ces derniers jours avaient été mouvementés pour Elliot. Il ne s'en était pas bien rendu compte puisque les horloges n'avançaient pas assez vite à son goût, au contraire elles semblaient fonctionner à l'envers, l'éloignant de ses rollers. Ses rollers le préoccupaient également...

Alors qu'il tendait son bras intact pour prendre un plateau, une épaule percuta l'autre bras aux bandages tout neuf, lui faisant légèrement perdre l'équilibre. Le métal sonore du plateau vibra lorsqu'il toucha le sol. Elliot ferma les yeux. Pas besoin d'être devin pour savoir ce qu'il se passait. Elliot avait longé la queue d'affamés, simplement, jusqu'aux plateaux, sans se soucier du gargouillis de la demoiselle derrière lui. Au fond, il avait espéré que couper la queue n'allait provoquer pas plus que des protestations sourdes, mais rien ne se passe comme on le veut, n'est-ce-pas ?

« Tu t'es cru où, ducon ? J'sais pas comment t'as fait pour t'mettre les hauts-gradés dans la poche, mais ça n'enlèvera pas le fait que j'peux pas encadrer ta gueule.

- Si tu cherches un chef d’œuvre, celui que t'as devant toi a un pr- »

L'importun frappa le premier. Dans le ventre. Maintenant que ses yeux verts faisaient face aux chaussures de l'homme, il le reconnut. Ce type était descendu au -4ème avec l'intention d'intégrer l'escouade Alpha quand Elliot en revenait. Ce dernier commençait à comprendre pourquoi il avait sauté sur la première occasion de lui en coller une, surtout maintenant qu'il n'avait plus l'écharpe d'immobilisation pour lui donner l'air d'un infirme.

Pendant que l'homme balançait son pied, Elliot ramassa le plateau qui para le coup et avec lequel le genou de l'autre ploya sous la douleur. Tous les deux se retrouvèrent à terre, mais le combat ne faisait que commencer. Prenez vos paris.