No light, no light in your bright blue eyes

Elle avait foiré. Complètement, du début à la fin. C’en était risible ; les cendres de son père devaient pouffer ou alors tenter de se frapper le front – front qu’il n’avait plus – tant le doigté de sa gosse laissait à désirer. Lui qui en avait été si fier en la voyant repérer les pistes de ses prunelles cisaillées par deux pupilles dilatées. Lui qui avait susurré le mot « tire » le jour où une biche était entrée dans sa ligne de mire. Elle avait hésité. Elle avait eu peur, et la bête avec ses sens étendus et son instinct avait automatiquement tourné la tête dans leur direction.
Ave était envahie par les doutes, même si ses prunelles n’en laissaient absolument rien paraître. Elle voulait sa colère. Elle désirait sa hargne pour cet homme qui l’avait obligé à appuyer sur la gâchette plus tôt que prévu ; sans doute parce que c’était sa façon de gommer sa propre incompétence. Elle le reluquait avec une lumière brûlante dans l’œil argenté, semblable à un aigle sur le point de se jeter sur sa proie.

ㄧ Navré de vous avoir imposé ça.

La jeune femme écarquilla les billes, les éloignant ensuite soigneusement de Rustin pour lire au hasard les silhouettes qui décampaient. Pour cacher l’humidité qui s’amoncelait sur le bout de ses cils et menaçait de couler sur ses joues – elle ne voulait pas tuer ; elle ne voulait pas rentrer à la maison après avoir arraché quelqu’un à sa famille ou après avoir massacré un homme qui n’avait plus rien d’autre que ses démons, de peur que sa mère ne la reconnaisse pas. Elle se contenta de hocher la tête. Elle pouvait comprendre les raisons de son geste. Elle aussi, si le monde n’avait pas été dans un tel état, aurait peut-être songé à protéger les civils avant de se protéger elle-même. D’un mouvement souple, la Cunningham se redressait sur ses jambes en songeant à ceux qu’ils venaient de sauver. Ils tremblaient de peur. Un élan de compassion l’élança au-devant sans attendre les ordres, et elle caressa doucement le crâne du petit garçon dont les cils étaient parsemés de givre.

ㄧ Cachez-vous, on récupère ce dont on a besoin et on vous ramène à la « maison ».

Le canon de son fusil rejeté sur l’épaule alors que son doigt touchait encore la détente dans un mouvement compulsif, la jeune femme se résignait à abandonner les civils en espérant que les pillards ne rebrousseraient pas chemin pour terminer leur abominable dessein. D’un signe de tête, Ave reprenait la tête de l’étrange escouade en se replaçant au-devant. De mouvements brutaux en regards prédateurs, elle analysait et sécurisait chaque zone où ils passaient, tout en lâchant à Pike de ne pas lâcher leurs pieds des yeux au cas où des mines et autres joyeusetés traînaient dans le coin.

Avançant lentement, avec l’allure d’une lionne qui slalome nonchalamment entre les hautes herbes de la savane tout en évitant de produire le moindre son lorsque ses membres touchaient terre, l’Outsider considérait une à une les enseignes qui avaient cessé de clignoter depuis longtemps déjà. Tout avait l’odeur de la destruction, du verre en miette et de l’humidité. Quelques minutes que celle-là avait commencé à pénétrer ses os, rendant ses déplacements moins aisés et faisant bleuir ses lèvres sous son masque. Elle avait mal. Une douleur connue, une souffrance qu’elle embrassait avec réconfort tant elle lui était familière – les hivers dans les Rocheuses étaient longs et rudes. Précisément comme aujourd’hui.
Elle esquissa un sourire aigre à la réplique de Pike. C’était précisément ce qu’elle avait sous-entendu à son camarade un peu plus tôt. Sa fureur était apaisée, néanmoins. Elle se contenta d’un haussement d’épaules nonchalant avant de s’avancer prudemment. Elle sauta le portillon de sécurité pour atterrir de l’autre côté, jetant une œillade vague autour de sa position. Le supermarché était étonnamment calme.
Presque trop.

No light, no light in your bright blue eyes

(Pas de soucis. Prends ton temps pour t’habituer à ton personnage, c’est le plus important ! Personnellement, j’aime beaucoup cette version. **)

Les caisses étaient vides. Aucun sourire pour vous accueillir, ni même de voix nasillarde dans les couloirs pour rappeler qu’un chiard avait perdu sa mère de vue alors qu’il traînait au rayon sous-vêtements féminins. Un calme effrayant. Un calme qui s’accrochait à son squelette en lui rappelant qu’il n’y avait plus rien de vivant ; ou, qu’en réalité, tout était mort. Ave adressait une œillade qu’elle espérait sûre à ses congénères, n’ayant aucun besoin qu’ils lisent l’anxiété d’une femme qui avait vécu là où tout bougeait. Là où le sang laissait place au renouveau.
Ici, néanmoins, les choses étaient stériles. Elles ne changeraient sûrement plus jamais. Elles s’effriteraient peut-être un peu davantage chaque année, jusqu’à ce que le bâtiment s’écroule réellement – mais aucun responsable ne râlerait dans sa barbe en réalimentant le rayon surgelé en pizza et en burger indigestes ; de vraies bombes pour l’estomac qu’Ave adorerait goûter une dernière fois. Les yeux fermés, l’Outsider s’accorda de prendre son temps en caressant les étagères poussiéreuses en demeurant sur le qui-vive. Il y avait des relents de nourriture passée – probablement toutes les denrées périssables qui avaient eu le temps de germer depuis le temps – et de moisissure. De nostalgie, aussi. De peur. De souffrance dissimulée et criée. De joie pour les mômes qui se foutaient dans les caddies comme s’il s’agissait de véritables canassons et pas de ferraille pourrie que leurs mères fatiguées poussaient à la force de leurs bras usés.
L’émotion était là.
Elle lui tendait les bras, lui commandant de se lover entre ses phalanges réconfortantes en abandonnant sa facette de prédatrice pour s’offrir de pleurer le passé. Elle hésitait. La bête commençait à défaillir en son cœur, déchirant et lacérant pour reprendre le dessus sur la faiblesse. Sur les sentiments. Elle aurait tout le loisir de chialer une fois rentrée, une fois la nuit tombée et les cauchemars de retour. L’esprit occupé, Ave écoutait à peine les ordres distribués. Elle marchait. Laconiquement. Doucement. Chaque anomalie lui arrachait un sursaut, même celle façonnée de toute pièce par son imagination ; à tel point que le son métallique formé par les doigts du Leader l’obligea à faire volte-face et à pointer son canon dans sa direction en laissant ses yeux lézarder jusqu’à trouver l’origine du son. Ses mains tremblaient. Elle avait peur de devoir tirer – cette pensée lui donnait la nausée. D’un œil mauvais, la jeune femme se détournait en réalisant qu’il n’y avait aucune menace aux alentours et poursuivait sa course en quête de nourriture viable.

Après de longues minutes à farfouiller avec le fusil pointé au-devant de sa silhouette – prenant à plusieurs reprises Pike en joue sans le vouloir – l’Outsider remarquait un reflet tout au fond d’un rayon. Une boîte. Elle chercha d’abord à s’en saisir, se hissant sur la pointe des pieds tout en conservant son arme précieusement serrée ; sans succès. Résignée, elle déposait le M4 le temps de se hisser pour récupérer une boîte de haricots en conserve. Avec un soulagement à peine dissimulé, elle remarquait que les aliments n’étaient pas périmés et les rangeaient dans son sac en récupérant son arme aussi sec.