Si mon premier pas à l'extérieur n'était pas véritablement une bouffée d'air pur, je ressentis une sensation éclatante dans mon esprit. Je ne sais pas si ce fut par égards pour nous, ou s'il prenait simplement le temps d'analyser la situation, mais Lynch ne nous pressa pas trop pour rejoindre le camion, me laissant la possibilité d'admirer, ou plutôt de constater, ce qui se dévoilait sous mes yeux. Malgré le froid qui transperçait mes vêtements d'hiver, je ne me sentais pas grelotter, trop ébahie par le paysage apocalyptiquement somptueux. La dernière fois que j'avais vu le bleu du ciel, on voyait encore la présence écrasante de l'Homme sur la nature. Maintenant, ce n'était plus qu'un champ de ruine, jonché de carcasses et de débris en tout genre. En revanche, le silence écrasant qui régnait ces lieux apportait une majesté impériale et je me figeai quelques secondes, laissant Ayden Lewis me dépasser pour rejoindre notre véhicule. Les rejoignant prestement, une partie de ma peur m'avait quitté quand était venue la surprise, et ce fut plus confiante que je me glissai derrière le volant comme me l'ordonna notre chef d'escouade temporaire. Sacrée escouade... Un militaire expérimenté, un gamin capricieux et aigri, et une infirmière sans expérience... Il n'y a pas à dire, si quelqu'un voulait se foutre de notre gueule, c'était le moment.
L'écoutant nous donner ses dernières directives, je glissai la clef dans le contact et frémis de plaisir en entendant le moteur ronronner. Je n'étais pas spécialement une fan du pilotage, mais conduire avait toujours été un petit plaisir et cela m'avait plutôt manqué.

Compris, répondis-je sobrement avant d'embrayer.

Nous nous élançâmes alors vers l'inconnu, dans un silence à peine troublé par le bruit du véhicule. C'était vraiment une introduction digne d'un film à moindre budget... Il ne manquait plus que la musique décalée,et tout était parfait. Ironiquement, je pensais au plaisir de ne pas circuler en plein bouchons d'heures de pointe, et si je dus parfois éviter habilement des obstacles posés en plein milieu de la voie, nous arrivâmes sans crainte jusqu'au pont. Lynch nous informant des démarches à suivre, je le regardai descendre du véhicule et partir en éclaireur, s'éloignant peu à peu de nous. C'était étrange, j'avais l'impression que c'était dans ce genre de moment qu'une merde nous tombait dessus, et que le héro se trouvait forcément loin de son groupe de potes. En général, si on suivait un synopsis basique de séries Z, en tant que seule femme de l'escouade, je devais survivre un peu plus longtemps tandis que le jeune qui tire la tronche se fait dévorer par une quelconque bestiole... Mais dommage, ce n'était pas un tournage, et mes chances de survie n'étaient pas bien plus élevées que le black dans un film d'action.

Il était désormais à une vingtaine de mètres, et j'appuyai doucement sur l'accélérateur pour rester à la distance convenue. Le regard pointé sur lui, je mis quelques minutes à remarquer les lourds nuages s'amonceler au-dessus de nous, ainsi que le bruit du vent s'amplifiant brusquement. Je n'étais pas une femme du nord, mais je connaissais suffisamment la montage pour reconnaître les symptômes d'une tempête... Il ne manquerait plus qu'il y ait de la neige, et c'était le pompon. Comme si mes craintes avaient été entendues par une puissance divine, j'observai, médusée, un premier flocon s'écraser sur le pare-brise avant de fondre immédiatement.

Putin de merde... Lâchais-je entre mes dents.

Je n'étais pas un soldat, mais on m'avait fortement ancré dans le crâne qu'il ne fallait jamais prendre d'initiatives tant que la situation n'était pas désespérée. Voyant que Lynch avait stoppé sa progression, j'écrasai mon pied sur le frein et attendis la suite des événements. Il n'y avait pas besoin d’être météorologue pour deviner que bientôt, nous bénéficierions d'une vision réduite, que la sensation du froid allait s'amplifier et que le déplacement serait compliqué. Je bénissais déjà les longues colonies de ski que j'avais pu faire, de ces longues randonnées dans la neige où parfois le temps avait tourné en ma défaveur. Évidemment, là c'était du level au-dessus... Mais il valait mieux cela comme expérience, que rien du tout.
J'avais beau râler, je préférais tout de même un ouragan à toutes les horreurs que j'avais pu entendre jusqu'à présent...

Les secondes passaient avec une lenteur angoissante tandis que la silhouette de notre leader disparaissait peu à peu dans le brouillard. Déjà pas très confiante, je pris le temps d'inspirer longuement avant d'expirer silencieusement pour refaire descendre la tension. Appuyée contre le volant, je continuai d'observer l'horizon brouillé, attendant que Lynch revienne. La voix de Lewis s'éleva alors derrière moi, m'apprenant ainsi son timbre et une partie de sa personnalité. Un jeune désabusé, qui n'avait apparemment pas du tout envie d'être là... Me demandant s'il n'était pas mieux pour nous d'avancer, j'haussai un sourcil et me retins de lever les yeux au ciel. Ce n'était pas sa faute, si j'étais tendue... Il fallait faire preuve de communication et de diplomatie. Relevant ma tête pour le regarder rapidement dans le rétroviseur, j'adoptai un ton calme, tentant d'y camoufler la pointe d'exaspération qui y pointait. Après tout, je ne lui en voulais pas, il ne m'avait rien fait et en dehors de son aspect grincheux, il ne devait peut-être pas être si désagréable que cela... Mais là, on était en plein milieu d'une tempête de neige, à l'entrée d'un pont qui devait ne pas être bien solide, et on avait tous connaissance des horribles bestioles qui rodaient dehors...

Lynch Crow est un militaire. Répondis-je alors. Non pas que je veuille vanter son intelligence, mais je le pense suffisamment... logique, pour revenir sur ses pas. Je ne vais pas prendre le risque d'avancer le véhicule dans une visibilité pourrie au risque de lui rouler dessus par surprise... S'il ne revient pas d'ici quelques minutes, on avisera.

Avisera... Le genre de mot que je n'aimais pas utiliser dans des situations de crise... Cela voulait tout dire : il va y avoir une merde, on n'a pas de solution, démerdez-vous.
Quand je vis la silhouette de Crow se dessiner à travers la tempête, je fus presque tentée de lâcher un soupir de soulagement quand il se glissa dans l'habitacle, nous apportant un vent glacial avant de refermer la porte. L'air soucieux, je préférai ne rien dire et attendis qu'il s'exprime, nous apprenant qu'on allait poursuivre ainsi en faisant preuve d'un maximum de prudence. Un peu nerveuse à l'idée de devoir manier l'engin qui nous transportait tous, je déglutis difficilement et réenclenchai le levier de vitesse, passant la première en douceur. Sentant les roues adhérer à la route sans difficulté, il allait me falloir aller à un rythme suffisamment lent pour ne prendre aucun risque, mais assez rapide pour ne pas laisser le temps à la neige de rendre la voie entièrement impraticable. Génial...

...La vie de chacun est au creux des mains des autres...

Et bah on n'était pas dans la merde... M'abstenant de tout commentaire désobligeant qui ne manquerait pas d'ajouter un poids en plus à l'ambiance déjà peu jovial, je gardai le silence et écoutai les instructions du leader, me contentant hocher la tête pour acquiescer ses dires. Le camion avançait facilement, dérapant légèrement quand il passait sur un petit obstacle, mais pas assez pour nous mettre dans une situation dangereuse. Enviant mon passager en le voyant fumer une cigarette, je préférai m'en abstenir afin d'avoir une liberté de mouvement optimal. Me contentant de humer l'odeur réconfortante du tabac froid, je slalomai entre les carcasses de voiture, optant parfois pour un trajet un peu plus long mais que j'estimais plus fiable. Quand nous arrivâmes enfin à la fin du pont, l'impression d'avoir passé la première épreuve m'envahit et je laissai cette fois-ci échapper un mince soupir de soulagement. C'était stupide, il pouvait très bien nous arriver une merde ailleurs.. Mais l'idée de ne plus être autant à découvert dans un endroit aussi précaire était déjà un bien en soi... Ne nous montrons pas trop exigeant. Le silence se faisant un poil trop présent, je me décidai à prendre la parole, consciente qu'une communication aussi futile soit elle, suffisait bien souvent à détendre légèrement une atmosphère trop pesante. Les bons vieux réflexes du métier d'animation...

Si la tempête de neige s'accentue, lâchais-je alors, On fait quoi ?

Ma question s'adressait principalement à notre chef d'escouade – escouade de trois, rappelons le- mais j'étais curieuse de savoir si Lewis avait un avis sur la question ou s'il allait préférer se laisser porter par les événements. Au fond, parler de la pluie et du beau temps était totalement hors-sujet avec la situation, mais si quelqu'un avait une bonne idée pour l'améliorer, je n'étais pas contre...

Le trajet était monotone, suffisamment pour que Lewis se joigne à ma tentative d'établir une meilleure ambiance et se mette à répondre. Écoutant vaguement ce qu'il disait et poursuivant ma route en vérifiant bien le terrain, je n'entendis même pas notre leader lui répondre qu'un mouvement attira mon attention. Ralentissant légèrement sans m'en rendre compte, mon sang se figea dans mes veines quand je compris ce dont il s'agissait et j'arrêtai notre véhicule avant de me tourner vers notre chef, un pic de panique pointant dans ma gorge. Je n'eus même pas le temps de le prévenir qu'il réagit immédiatement, d'une confiance et d'un sang-froid qui me rassura instantanément. Nous informant de la démarche à suivre, je tenais toujours le volant entre mes mains crispées et ce fut lorsque la sienne s'enroula autour de mon poignet que la gangue de terreur qui m'emprisonnait éclata comme une bulle. Me glissant à travers les sièges pour rejoindre Lewis, je jetai un regard vers lui où désormais il ne se lisait qu'une détermination de survie absolue. L'envie de partir en courant me tenaillait, celle de me rouler en boule et de fermer les yeux encore plus... Mais j'avais vu bien trop d'horreurs à l'infirmerie pour ne pas comprendre que notre sécurité dépendrait de l'exécution soignée des ordres de notre commandant. Entrouvrant la bâche en maudissant mes mains qui tremblaient encore, je me laissai glisser jusqu'au sol et vérifiai d'un coup d’œil que nous nous trouvions bien hors du champ de vision des personnes qui nous pointaient.

« Calme toi, ma grande... Calme toi... » me répétais-je sans cesse tandis que je filais, à moitié courbée, vers une carcasse de range rover renversé.

M'adossant contre le châssis, je profitai de la tempête de neige pour regarder discrètement sous la voiture à travers le mince espace dont je disposais. Je pouvais voir la porte côté conducteur entrouverte ainsi que la main de Crow, encore sur la poignée. Sans doute par désespoir, ou au contraire par fol espoir de m'en sortir, je misais toute ma confiance sur lui, priant pour qu'il exécute je ne sais quel enchaînement d'actions qui nous permettraient de nous en sortir. Mes doigts enroulés autour de la cross de mon arme, je n'avais pas encore retiré la sécurité, préférant éviter un tir malheureux du à un mouvement de panique. Heureusement, j'avais de la chance... En cas de surprise, je n'étais pas du genre à courir et à hurler partout, je préférais plutôt me tétaniser en attendant que la grâce de je ne sais quelle divinité stupide – je devenais souvent croyante dans ces moments – veuille bien se manifester. Mais là, pour la première fois, il s'agissait de survivre... Alors un bon coup de pied au cul me ferait réagir. Dans le cas présent, l'apparition de trois hommes armés était ce que je pouvais appeler : un énorme chassé dans la croupe.

« que se passe-t'il déjà, dans les films ? » me surpris-je à penser pour tenter de me détendre.

Ah oui. Le héro fait diversion, profite de l’inattention des ennemis et les one shoot en une balle qui traverse trois têtes en même temps. Bon, là... Je n'en attendais pas autant, mais je n'étais pas contre le fait qu'il les attire ailleurs et qu'on se taille dare dare dans le refuge le plus proche. Vingt-sept ans... Je prenais de l'âge, mais tout de même... Pas au point de mourir maintenant, non … ?