PSYCHOLOGIE :

Irène Birnas, patiente, 67 ans - « Le Dr. Lov est vraiment un bon médecin. Il est attentionné, il cherche toujours la solution qui convient le mieux à son patient. Il y a 3 ans j'avais de l'arthrose à l'épaule. Il a pris du temps sur ses rendez-vous suivant pour bien m'expliquer comment ça allait se passer et pour savoir quelle type de prothèse je voulais. Il s'est même arrangé pour réduire le prix de la prothèse d'un cinquième mais de laisser le prix initial sur la facture pour que la mutuelle prenne en charge une plus grosse part. Un cinquième en moins sur 8000€ c'est un gros service, vous savez ? »

François Villier, patient, 46 ans - « Il n'en a rien à faire de ses patients ! Après la pose de broches pour ma fracture du poignet, comme seul antalgique il m'a prescrit une gélule de Lamaline deux fois par jour alors que je demandais de la morphine ! Et quand je suis revenu en disant que j'avais toujours mal, même avec ça, il m'a envoyé bouler en me répliquant que j'étais juste un drogué en manque qui pense que les médecins sont ses dealers ! Il se fout de la gueule du monde, ce mec. »

Killian Paris, patient aux urgences, 8 ans - « Bah ma maman et moi on est allé à l'hôpital parce que après avoir sauté de super haut ma cheville a fait crac et elle a commencer à gonfler et moi j'avais super mal donc ma maman à pris la voiture et aux urgences on l'a appelé et il est venu dans la salle où j'étais assis sur une sorte de siège. Il est arrivé et il m'a fait un grand sourire. Il m'a demandé mon prénom et ce que j'avais. Il m'a demandé comment j'avais mal, si j'avais entendu un craquement, si j'avais l'impression que c'était étiré ou déchiré, puis il a appuyé sur ma cheville. J'ai presque pas pleurer. Ensuite il m'a injecté un truc magique et ça faisait plus mal. Donc il a tourné mon pied dans pleins de directions. Puis il m'a emmené dans une salle pour voir mon os. Il m'a ramené dans la pièce des urgences et il a parlé à ma mère, après il m'a mis un machin pour maintenir mon pied vers le haut, il m'a mis de la glace, et après j'ai même eu le droit à une sucette ! »

Marie Paris, mère du petit Killian, - « Il a vraiment été doux avec Killian. Comme s'il avait l'habitude des enfants. Après avoir fait quelques examens il m'a prise à part et m'a dit que c'était une entorse grave en m'expliquant bien ce qu'il allait falloir faire. Ça se voit qu'il aime aider les gens. Killian a même demandé à revenir le voir pour la visite d'inspection dans un mois. Et il lui a répondu que ce serait avec plaisir. »

Vous voyez ? Il est différent avec chaque personne. Mais si on doit résumer sa personnalité : souriant, doté d'une joie de vivre assez conséquente, sûr de lui, acharné dans son travail et perfectionniste. Il parle agréablement aux gens. Trop. Ça peut en énerver certains. Énervement qu'il moquera d'un sourire serein qui veut dire « T'es con, mais ne t'en fais pas, c'est pas de ta faute. » et de répliques cassantes qui laissent bouche B. Par contre il restera de marbre devant une forme d'art quelconque, exception faite pour le hip-hop et le blues qu'il trouve particulièrement entraînants. Il se perd facilement dans ses pensées quand il n'a rien à faire. Il faudra l'appeler plusieurs fois avant de le tirer de son débat intérieure entre pain au chocolat et chocolatine. Et dernière chose, il tient étonnement bien l'alcool du haut de son mètre 77 et de ses 56kg. On a vu des masses s'écrouler avant qu'il ne commence à avoir les idées floues pendant des concours de shot. Et en plus il a l'alcool joyeux, que demander le peule ?


HISTOIRE :

« Vous avez besoin que je vous réexplique quoi que ce soit ? Très bien. Alors à Jeudi soir, madame Rentier. »

Rentier... Il avait toujours trouvé ce nom de famille horriblement classique. Il sent le petit comptable enfermé de 5h à 2h le lendemain dans un bureau sans fenêtre, se faisant écraser par son patron.

La dame avec qui j'étais au téléphone, c'est madame Rentier. Une petite vieille anxieuse mais à la mémoire défaillante. Donc pour la troisième fois cette semaine, j'ai dû lui remémorer les détails de la pose de sa prothèse de hanche. La pauvre femme fait de l'arthrose. Comme pas mal de mes patients. Mais heureusement, je ne suis pas entouré seulement de vieux. Je suis chirurgien spécialisé en traumatologie. Et en orthopédie. Les deux vont de paire, de toute façon. Je m'occupe de tout ce qui est os, articulations, muscles, tendons, nerf, et de tous les traumatismes qui leur sont associés, comme les fractures, les entorses, les brûlures et aussi les plaies.

Il tourne la tête vers la fenêtre de son bureau. Enfin, fenêtre... Baie vitrée de son bureau dans le service d'orthopédie de cet hôpital du 14eme arrondissement. Il se frotte les yeux de son index et de son pouce. Il pleut. Encore. Anthony aime la pluie. Elle la berce. D'un simple « poc » elle l'emporte loin dans les méandres de sa mémoire. Aussi loin qu'il le puisse. Il s'était toujours demandé si on pouvait se souvenir de sa naissance. Après 12 ans d'études de la médecine, il savait que non. Mais quand bien même... Il aime imaginer sa naissance. Essayer de se placer de son point de vue de nouveau né. Il avait également assez vu de salles d'accouchement pour pouvoir avoir une idée nette des premières images venues à ses yeux. Le gynécologue penché sur lui, la tête à l'envers, entouré d'infirmières tenant la main de sa génitrice. Puis la vague de douleur de la première inspiration. Comme une première bouffée de cigarette en trois fois pire. Si ce petit bout rose ne crie pas plus fort, c'est parce qu'il ne peut pas. Mais il faut dire qu'il crie déjà assez fort, donc ce n'est pas plus mal. Ceux qui ont des enfants savent de quoi je parle.

Anthony a été un enfant heureux. Plus ou moins. Il a habité le 13eme arrondissement pendant un bout de temps, avec une mère bossant à Tang Frère et un père manchot qui vivait des indemnités. Père qui, malgré les tentatives répétées de la bouteille, n'a jamais été alcoolique. Et lui avait donné ce nom de famille qu'il portait avec fierté. Ce n'est pas tout le monde qui peut se venter d'être le Dr Lov. Une bonne primaire, un bon collège, un bon lycée, avec des résultat ma foi fort corrects. Il aurait pu faire un lycée d'excellence. Mais, pour le citer, « Ça ne m'intéresse pas. D'excellentes notes dans un lycée moyen passent bien mieux que des notes moyennes dans un lycée excellent. ». Je ne pense pas que ce soit vrai. Mais ce n'est que mon avis de narrateur omniscient. Et je suis juste censé parler de lui, pas de moi. Donc continuons. Il fit ensuite ses études de médecine à l'université Paris Diderot, réputée pour avoir une très bonne fac de médecine. Une enfance toute somme classique pour un homme toute somme banal. Sauf qu'en 9 ans d'exercice il a acquit une certaine notoriété. De part son expertise, surtout. À la fac, ayant des résultats moyens, c'est sur le terrain qu'il fut révélé aux yeux de tout le monde. Il a une totale maîtrise de son stress et de ses mouvements, il est bon orateur, ce qui est utile pendant les conférences, mais il est célèbre surtout quant à ses virulentes critiques de l'éthique, qui selon lui est bien trop contraignante. Il arrive même qu'il la contourne et même qu'il l'ignore. Pas au point de ce cher Gregory House, personnage principal de la série « House », bien sûr. Mais quand même.

Ah, il est 14h30. Vérifions mes billets... 16h47. J'arrive à New York le lendemain aux environs de 1h du matin par un avion de Air France. J'aime bien les conférences. Ça me fait voyager. Et comme j'y suis invité, tous les frais sont payés.

Il inspecte une dernière fois le dossier de madame Rentier, juste pour être sûr. Il est méticuleux dans son boulot. Normal, il l'aime plus que tout. Et il ne suit à la lettre qu'une seule règle du serment d'Hippocrate. La plus importante. Faire tout ce qui est en son pouvoir pour son patient. Et comme il le dirait lui même, ceux qui suivent l'éthique et le serment d'Hippocrate ne peuvent pas suivre cette règle. Il a, si on peut le dire, horreur des règles. La vie de célibataire lui va, d'ailleurs, très bien. Pas besoin d'être fidèle, de rentrer chaque soir pour le dîner, de s'engueuler au moindre petit désaccord, et d'être triste lors d'une séparation. Non, définitivement, sa vie lui va très bien.

Dehors il pleut toujours. Les gens se précipitent partout dans l'aéroport pour attraper leur avion. J'ai trente minutes d'avance. Les hommes classes ont toujours de l'avance. Le lounge affaire est spacieux, dallé de marbre avec un lustre au centre. La WiFi haut débit, des coupes de champagne, de mignonnes hôtesses de l'air. Que du bonheur.

« Monsieur Lov ? Votre avion vient d'arriver. »

Oups, il s'est assoupi. Ça explique comment trente minutes ont pu passer si vite. Il se frotte les yeux, fait battre quelques fois ses paupières et se lève en prononçant « Oui, excusez-moi. ». Il se met à suivre l'hôtesse. Le médecin est heureux de voir qu'ils ont Netflix. Et un mini-bar bien rempli. Intérieurement, il sait qu'il ne se lassera jamais de la classe affaire.

Ça fait quatre heures qu'on est partis, on survole l'Atlantique. Le soleil n'est plus qu'une petite tâche dont les rayons ont fuit derrière cette ligne invisible et relative à chacun nommée depuis l'invention du bon français l'horizon. Maintenant que j'y repense, le repas laissait à désirer. Vraiment étonnant, pour Air France. Casque sur les oreilles, je regarde pour la quatrième fois Breaking Bad. Cette série me passionne. On assiste à la transformation du personnage principal. De prude prof de chimie à baron de la drogue qui tue sans hésiter et dont le nom suffit à faire fuir toute forme de vie. Mais j'hésite. Dormir maintenant ou attendre d'arriver ? J'étais de garde toute la nuit dernière aux urgences, vu qu'on est seulement deux chir traumatologues orthopédistes et que je suis le meilleur, je fais la grosse majorité des gardes. Mais un bonus de 1600 net on ne peut pas dire non. Ça se tire au pile-ou-face ce genre de décision...

Il sort une pièce, décide que pile il dort, face il attend, et la lance. Pile. Mais il n'aime pas les règles, vous vous souvenez ? Il utilise le pile-ou-face pour se décider, pas pour tirer au hasard. Donc il continue de regarder Breaking Bad, ne sachant pas qu'il ne reverra jamais son bureau au 5eme étage.
À peine était-il arrivé qu'on le conduisit à son hôtel. Et à peine fut-il dans sa chambre qu'il s'écroula sur son lit et s'endormit aussitôt.

« J'ai pas vraiment envie d'écouter la conférence de ton frangin sur les besoins sanitaires en Afrique. C'est tout le temps la même chose. Et en plus je dois en donner une dans l'amphi tout public sur l'importance de l'échauffement. »

Il y a une heure je suis arrivé à Brooklyn pour la conférence d'information et de sensibilisation à la santé. Et il y a une heure que j'ai retrouvé mon compagnon de conférence préféré. Sans lui, je m'ennuierais. Il est 10h38 précisément. Et le haut parleur annonce quelque chose de peu engageant.

« Mesdames et messieurs, nous vous prions de bien vouloir vous diriger de toute urgence vers la sortie. Ceci n'est pas un exercice. »

Il entend toujours « infection » au lieu de « prion ». Blague de médecin qui le fait doucement rire. Les deux confrères se jettent un regard inquiet pendant que tout autour d'eux les citoyens lambda râlaient. Ils ne savaient pas que leur vie allait bientôt être menacée. Athony va à la rencontre d'une hôtesse pour se renseigner. Elle répond que d'après les dernières nouvelles, la belle Moscou serait frappée d'un mal inconnu, une photo postée sur Twitter à l'appui. Elle montre des rues remplies de cadavres en décompositions, de voitures explosées, de gens courant dans tous les sens. Et d'après l’opacité de l'air, le responsable serait un gaz. C'est ce qu'il suppose, du moins. Il saura plus tard qu'il n'avait point tort.

Je ne me souviens plus très bien. Je suis dans un SAS, un homme me pose des questions. J'y réponds machinalement. Il faut dire que les derniers jours ont été rudes. De plus en plus d'images de morts, de plus en plus de villes touchées, de plus en plus d'entreprises fermées, de plus en plus de personnes tombent dans la panique. J'ai perdu mon compagnon de conférence en cours de route, et j'ai suivi un groupe de gens qui avaient l'air de savoir où ils allaient. Et me voilà ici. Loin de ma belle capitale. Dans un endroit inconnu. Meh, ça devrait aller ! Ça étoffera mon CV.