Comme a chaque heure, les habitants déambulaient dans les couloirs du bunker, vaquant à leurs occupations. Ici, il était difficile de trouver de la tranquillité et je savais qu'à cette heure-là, ma cellule devait être encore occupée par Wayne Holden et De Anh Lynch. N'ayant guère l'envie de me retrouver au milieu de leur batifolage, j'avais donc décidé de me balader hasardeusement dans les allées, venant de finir mon service à l'instant. Ayant travaillé toute la nuit, je savais que le jour n'était pas encore levé mais l'absence de contact avec le soleil rendait la chose totalement inutile... Qu'il fasse jour ou non, ce n'était plus important, désormais... Et si la tristesse de la situation était évidence, je la prenais désormais avec une désinvolture plutôt inquiétante... On perdait le goût à beaucoup de choses depuis l'arrivée à twenty one, les gens étaient devenus robotisés, se levant pour travailler et menant une vie morne et insipide. J'étais comme eux, quelque part... Et si désormais je prenais du plaisir à aller m'entraîner quelques heures par semaine aux côtés de mon compatriote de chambre, une nouvelle lassitude s'abattait de nouveau sur moi. Qu'allais-je faire maintenant que je m'étais habituée à ces petits rituels ? Comment allais-je bien pouvoir me divertir au milieu d'une foule aussi blasée que moi ? C'en était désespérant...

... s'énerve... plus de café...

Relevant la tête alors que je gagnais le niveau moins deux, je vis passer deux jeunes fille en courant en train de murmurer d'un air agité sur une embrouille au réfectoire. N'étant pas spécialement de nature curieuse, l'ennui me poussa tout de même à me diriger vers la source de ce conflit afin d'en savoir plus. Triss... Tu as toujours appris par le passé aux enfants à se mêler de ce qui les regardait... Et voilà que tu fais l'exacte contraire. L'apocalypse a apporté bien des changements, chez toi...
Quand je gagnai enfin le lieu concerné, je vis un petit attroupement de cinq ou six personnes en train de s'acharner sur l'une des cuisinières. Reconnaissant là une jeune femme que j'avais soigné par le passé, je me souvins alors de son caractère amicale et plutôt apeuré et une vague de pitié déferla en moi. Elle avait l'air terrorisé et tentait apparemment de calmer ses détracteurs sans grand succès. Traversant la salle pour m'approche de tout ce petit monde, je vis alors un couple et deux adolescents en train de s'énerver sur le fait qu'il n'y avait plus de café de disponible. Légèrement en retrait, se tenait un homme à la carrure athlétique et à la trentaine passée. Son air austère et son maintient me poussèrent à croire qu'il faisait partie des outsiders, mais je ne l'avais jamais vu. Pourtant, grâce à mon métier, j'avais l'occasion de croiser la plupart des membres du bunker... Mais celui-ci ne me disait rien.

C'est scandaleux ! Jacassait la femme d'une voix stridente. Comment voulez-vous qu'on aille travailler si vous nous enlever les rares plaisir qu'il nous reste ! Je veux voir votre supérieur !

Stupidité humaine... Nous étions en pleine apocalypse, nous n'étions même pas sur de pouvoir un jour revoir la lumière du soleil et cette famille d'imbéciles préférait se prendre la tête pour une tasse de café. Lâchant un soupir désabusé, l'idée de lui coller un taquet à l'arrière du crâne me traversa l'esprit mais je rejetai immédiatement cette possibilité en arrière. Je n'avais jamais été violente et le simple fait d'y penser me faisait un peu peur. Il était temps de reprendre les bonnes vieilles habitudes et d'user de diplomatie... M'imaginant avoir à faire à un groupe d'adolescents en pleine crise, je pris quelques secondes pour faire preuve de patience et de sérénité avant de m'avancer un peu plus, attirant ainsi les regards de ce groupe étonnant.

Bonjour, dis-je alors poliment malgré l'exaspération qui pointait en moi. Il me semble que la dame vous a déjà répondu... Il est inutile d'insister, vous risqueriez d'éveiller l'attention des patrouilleurs.

J'espérai que la peur de se prendre une sanction suffirait à calmer les choses, mais le mari sembla avoir été touché dans sa fierté et je le vis bomber le torse avant de se tourner vers moi. Voilà pourquoi j'avais toujours eu une méfiance du genre masculin... Il était impossible de leur faire entendre raison quand il se sentait menacé. Ce n'était pourtant pas compliqué de réfléchir un instant...

On t'a rien demandé, à toi, alors t'es gentille mais tu prends tes cliques et tes claques et tu dégages de là.

Mon sang se glaça devant son agressivité et je sentis l'adrénaline m'envahir tandis que je me forçai à rester immobile. Je n'étais pas une combattante hors pair, loin de là, mais Wayne Holden m'avait apprit à me défendre efficacement contre des abrutis comme lui et je vis plein d'opportunités pour lui faire ravaler son ego en quelques claques. Non, il ne fallait pas... Je n'étais pas quelqu'un de violent. J'avais horreur de la violence... Il fallait que je me le répète pour ne pas l'oublier. Un bunker ne me transformerait pas en tas de colère impulsive.
Quand il lâcha un ricanement satisfait en voyant mon absence de réaction, ce fut la goutte qui fit déborder le vase et j'ouvris alors la bouche pour lâcher ce qui serait certainement une provocation décisive.

Tu...

Je n'eus pas le temps de finir ma phrase, et en y réfléchissant ce fut une bonne chose, que le dernier spectateur se tenant dans son coin se décida enfin à intervenir. Était-il mon sauveur, ou bien allait-il falloir que je me retrouve face à une famille de débile soutenue par un paquet de testostérone ?

La tension montait petit à petit et la dernière injonction de l'homme n'avait pas arrangé les choses. Je me sentais m'agiter nerveusement tandis qu'une furieuse envie de lui rabattre son caquet m'envahissait. A vrai dire, je me rappelais parfaitement du moment où un événement imprévu vint faire éclater ma bulle de ressentiment. Alors que j'allais répliquer sèchement à l'abruti en train de me postillonner dessus, une silhouette massive passa à mes côtés, presque invisible tant l'attention était focalisé sur ce que j'allais dire. Un bras passa non loin de mon visage, soulevant une mèche de mes cheveux au passage, avant de s'écraser contre la gorge de mon interlocuteur, l'envoyant illico au tapis. Une voix grave tonnant qu'il y avait trop de bruit, j'étais encore sous le choc quand les premières réactions eurent lieu. La femme du malmené se jeta à ses côtés en l'appelant, hystérique, tandis qu'il peinait à reprendre son souffle. Les deux adolescents se serraient l'un contre l'autre d'un air apeuré et je grimaçai légèrement, peu désireuse d'exposer la jeunesse à des démonstrations de violence... Mais j'avouai qu'en dehors de cela, j'étais tout de même discrètement satisfaite de ce qui venait de se passer.

Mais... Mais vous êtes un fou ! UN MALADE !

L'homme à terre commençait à reprendre ses esprits, toute envie de confrontation ayant déserté son visage. Des murmures se répandant dans la salle comme une traînée de poudre, certains se transformèrent en exclamations offusquées tandis que la plupart prenaient cela avec amusement. Espérant avoir la voix de la majorité en notre faveur si on venait à nous gronder pour ça, l'idée de m'esquiver discrètement me titilla un instant. Après tout, je n'avais rien rien fait, et si les patrouilleurs arrivaient, je n'étais pas en faute... Mais cet outsider avait agi un peu à ma place, exécutant un geste certes regrettable, mais tellement plaisant. Un peu de reconnaissance, je n'allais pas le laisser à cette embrouille.
Tandis que le corps cuisinier calmait la petite famille, je préférai reculer de quelques pas pour laisser les autres témoins se charger de cette histoire. Tournant la tête vers celui qui avait amplifié toute cette pagaille, je tentais de garder un air serein malgré mes appréhensions. Après tout, il avait peut-être agi dans mon sens, mais ça n'empêchait pas que je ne le connaissais pas et que tout ce que j'avais pu voir de lui... c'était ses phalanges contre une glotte. Il pouvait très bien être pire que l'abruti qu'il avait étalé...

Hm... Je pense qu'il faudrait s'en aller, la patrouille de jour ne va pas tarder à venir ici...

"et je n'ai pas tellement envie de me prendre un rapport sur la tronche." ajoutais-je en mon fort intérieur.

Je n'avais qu'une vague idée de ce que risquaient les personnes qui enfreignaient le règlement, mais des rumeurs comme quoi ils étaient exclus du bunker suffisaient à redouter la sentence. Je n'avais pas tellement envie de me retrouver sans arme et sans protection à l'extérieur, j'avais vu bien assez de blessures à l'infirmerie pour me faire passer ce désir là... Face à un molosse mutant, ce n'était pas un coup de chaussure qui allait régler le problème. Je manquais encore d'entrainement pour me sentir sereine...

... Et je ne sais pas pour toi, mais je préfère ne pas être là quand ils arriveront.

Je ne savais pas tellement à quoi m'attendre avec lui. S'il décidait de m'envoyer chier à son tour, je pense que je jetterai l'éponge à tous ces branquignoles et je retournerai dans mon compartiment. Ca m'apprendra à me mêler de ce qui ne me regarde pas ! Qu'est-ce que je regrettai le manque de solitude... Dans ce bunker, nous nous marchions tous et rares étaient les moments de tranquillité. Ce n'était pas étonnant que les gens finissent par péter un plomb.. Le nombre de patients que j'envoyai vers les psy de twenty one était en hausse perpétuel. Bientôt, même les psychologues devront aller consulter et cela finirait en asile de fous...