Assis sur le bord de son lit d’hôpital, Arthur se regardait dans le miroir depuis plusieurs minutes, fasciné par son reflet déformé. Ce demi inconnu qui l’observait dans cette horrible vision le fascinait et le terrifiait également. Invariablement ses yeux passaient du côté droit indemne de son visage à son côté gauche comme rongé par de l'acide. Les médecins avaient fait de leur mieux, mais ils n’avaient pas le matériel pour faire une greffe de chair aussi conséquente.

Une partie de sa joue manquait, sa pommette avait été brûlée, et son œil taché de sang n’avait plus rien d’humain. Ça n’était pas lui, pas une partie de lui, c’était impossible. Il regarda à nouveau son côté droit, indemne avec étonnement. Il lui semblait que quelqu’un lui avait joué un mauvais tour, qu’il regardait à travers une vitre et non son propre reflet.
Ses doigts parcoururent sa joue mutilée, découvrant les sensations de ce nouveau visage. Il attrapa un morceau de chair grotesque qui dépassait et tira comme pour l’arracher. Cela lui fit mal, il lâcha. Au bout de trois jours après le retrait des bandages, il n’avait pas eu le temps de s’habituer à son nouveau visage.

On lui avait annoncé sans surprise qu’il devait sortir de l’infirmerie et travailler pour rester dans le bunker A. Cela ne l’avait pas surpris, et l’infirmière qui s’était occupé de lui était vraiment optimiste, on manquait toujours de main d’œuvre pour les travaux nécessitant une expertise technique, la sienne serait plus que bienvenue. Selon l’avis des docteurs, il pourrait même peut-être rejoindre une escouade et sortir. Ce n’était pas de tout repos, mais il pourrait surement rechercher des affaires personnelles.

Arthur aurait-du sortir trois jours auparavant, sa condition physique était bonne, et il était en état de travailler. Ses forces lui étaient bien revenu, mais lorsqu’on lui avait retiré ses bandages il a eu une réaction telle qu’il avait été gardé en attente d’un examen psychologique. La veille, une infirmière inquiète avait essayé de lui retirer son miroir des mains. Il eut une réaction agressive, et avait fait mal à la jeune femme.

Sur son dossier était noté:
Catatonie, entretien psychologique d’urgence.
Mais cela lui passait complètement au-dessus il était là à se regarder, silencieusement, dormant et mangeant à peine depuis qu'il s'était vu. Son entretien devait faire le point sur son état physique et mental mais également déterminer son rôle dans le bunker.

La porte s’ouvrit, quelqu’un entra et se présenta dans l’indifférence la plus totale d’Arthur.
[…]
Un contact, Arthur tressaillit, le miroir lui glissa des mains et se brisa au sol. C’était désormais une myriade de morceaux de monstres et de morceaux de lui qui gisaient par terre.
Arthur se retourna enfin vers son interlocuteur et le dévisagea.

Tony était dans son bureau, assis avec un café, un dossier dans les mains et sa mâchoire lui faisait mal tellement elle était serrée. Un peu plus et ses dents se fissuraient. Il hurlait intérieurement. De l'extérieur pourtant, tout ce qu'on pu voir d'anormal était cette veine qui sur sa tempe trahissait sa pression et son air un brin plus dur qu'à l'habitude.

Il lâcha un instant le torchon qui prenait des allures de dossier, ferma les yeux et prit un grand respire, tentant de se connecter à l'Univers, ses mains jointes devant son visage, les coudes sur le bureau. Ce qui avait été fait était fait, on lui avait remis le cas d'un homme pas comme les autres en apparence pour qu'il l'évalue, en réalité pour qu'il le ratrappe. Une des raisons pour laquelle il avait été affecté au patient était sa carrure comme l'homme avait eu des comportements violents dernièrement. Cela était loin de lui faire peur, il se disait surtout que c'était la conséquence du geste imbécile de son équipe habituellement beaucoup plus douée que ça. On lui avait aussi donné le cas car il était bon avec les patients qui avaient besoin de services psychologiques, sans être toutefois qualifié. Mais quand il y a peu de psychologues, un médecin peut faire le travail.

L'erreur avait pourtant été simple: sous-estimer qu'il venait d'être défiguré et lui donner un miroir sans vraiment l'accompagner la dedans.

Le docteur O'Hara se leva de son bureau, prenant le dossier sous son bras, stéthoscope autour du cou et prit la direction de la chambre du patient nommé Arthur Blackbird.

Arrivé à la chambre, il toqua quelques coups sur la porte et l'ouvrit très doucement.

"Monsieur Blackbird, je suis le docteur O'Hara, c'est moi qui s'occupera de vous maintenant... je vais entrer."

Son client ne bougea pas le moins du monde et donc le médecin décida qu'il serait mieux en face de lui, rien dans les mains et qu'il ferait mieux de se mettre à son niveau afin de ne pas aggraver les choses avec un affront. Il alla prendre une chaise non loin de lui et en passant, sans faire exprès, son sarrau blanc toucha Arthur qui échappa son miroir.

Tony sursauta, il s'attendait à la riposte de l'homme, mais en même temps il était plutôt heureux que ce dernier lui glisse des mains.

Ayant l'attention de son patient, il prit une serviette non loin et la lança doucement sur les fragments de verre. Enfin la torture était terminée pour Arthur qui restait de marbre.

"Je suis désolé d'avoir cassé votre miroir." commença-t-il par énoncer de sa voix douce habituelle.

Sa position était détendue et ouverte, usant de son non-verbal pour lancer comme message qu'il n'était pas une menace.

"Est-ce que vous avez déjeuner aujourd'hui?" demanda-t-il, sachant d'avance la réponse afin d'enlever le focus de sur l'objet brisé qu'il avait couvert, ses sens en alerte, prêt à capter le moindre non-verbal, la moindre expression dans ce visage aux muscles manquants.

Tony le regardait comme on regarde n'importe qui, le trouvant aussi beau que n'importe quel être humain, Arthur n'étant pas le premier homme dévisagé qu'il rencontrait dans sa carrière.

Une blouse blanche, Arthur Grimaça. Le docteur O'Hara... Pitié... Pas cet espèce de dégénéré consanguin qui avait essayé de lui apprendre des techniques de relaxation boudhiste. Autant dire que la méditation n'avait pas marché, Arthur n'avait pas vraiment la tête à ça, et c'est pas un hippie qui va lui régler se vie.

"Est-ce que vous avez déjeuner aujourd'hui?"
Inutile de répondre, le doc avait un rapport complet sous le bras, il en savait certainement davantage sur Arthur que Arthur lui même. Il faudrait bien le supporter quelques heures, lui et sa bonhomie, son optimisme a tout épreuve. Il ne manquerait plus qu'il ne considère même pas son apparence.

Seule la respiration d'Arthur cassait le silence. Après tout c'était lui le doc! Il n'allait pas faire son boulot non plus. Il jeta un oeil dans le lit voisin, la comateuse semblait insouciante, ignorant superbement le vaudeville ridicule qui avait fait entrer le docteur Deus ex machina. Comme si il pouvait résoudre le problème. Ils avaient eu six mois pour le régler, et il se retrouvait avec une parodie de visage.

Il regarda la jeune femme endormie d'un air envieux. Elle n'avait pas eu a subir ça elle! Arthur lui avait beaucoup parlé depuis des mois. quelqu'un qui ne le voyait pas comme un bout de viande... Que c'était agréable... Il lui avait plié des feuilles usagées pour en faire des origamis en forme de fleurs. Les chiffons du début avaient laissé place a plus de variétés et une meilleure technique. La veille, il lui avait fait un lys. Quelques faux plis lui avaient donné du fil a retordre, tant pis, il ferait mieux une autre fois. La fleur était reconnaissable, et s'il ne devait jamais devenir un maestro du pliage, il était fier de ses progrès.

Ses yeux se posèrent sur le doc. Il attendait. Arthur aussi.